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08-10-2024 : Bloqueurs, nostalgie et rangement

Mon premier choc artistique a eu lieu au milieu des années 80, le jour où j’ai eu entre les mains la BD Ranxerox dessinée par Tanino Liberatore sur un scénario de Stefano Tamburini. Sexe et ultra-violence dans un univers post-moderne déjanté, une claque absolue. Alors oui, cette œuvre sulfureuse appartient à une autre époque et certains sujets abordés ne sont plus concevables de nos jours, mais là n’est pas le propos qui mériterait à lui seul un article dédié et complet. Ce que je retiens avant tout de cette rencontre, c’est la puissance du dessin de Liberatore qui, avec Moebius, deviendra ma plus grande influence graphique. Je retiens également l’univers cyberpunk qui se dégage des planches, ce mélange de technologie et de chair, d’électronique et d’informatique.

Ma rencontre avec l’informatique s’est faite sur un Thomson MO5 au milieu des années 80, grâce au plan informatique pour tous (IPT), programme mis en place par le gouvernement Fabius. Comme pour la BD Ranxerox, cette petite case magique fut pour moi une claque absolue.

L’évolution de mon parcours artistique est indissociable de mon intérêt pour l’informatique. L’arrivée d’internet, des forums, des blogs… ont été de formidables tremplins pour la reconnaissance de mon œuvre. Depuis le début, j’ai voulu maîtriser le maximum de choses pour être le plus indépendant possible : HTML/CSS, WordPress et autres moyens pour construire seul mes sites, ma communication, mon image numérique et artistique. Puis, sont arrivés les réseaux sociaux.

Chaque réseau social a réellement été un moyen de visibilité pour mon art, source de belles opportunités, du moins au début. Puis, c’est devenu un obstacle à ma créativité, pour finir par être la source de mon invisibilité. Algorithmes, contenus sponsorisés, pages, profil privé, timeline… ne plus créer, mais produire du contenu pour espérer être encore vu, aimé, liké… le piège s’est refermé.  Alors oui, je leur dois certainement une partie de ma reconnaissance, mais assurément la totalité de mon désir d’absence pour diverses raisons, dont la préservation de mes données personnelles.

Et aujourd’hui, alors ?

Il est fascinant de constater à quel point la mise en place de diverses protections, dont le but premier est de préserver mes données et ma vie privée, est un handicap majeur à mes habitudes numériques. Ces protections, quand elles ne les rendent pas tout simplement inaccessibles, ralentissent énormément le temps de chargement des sites que je souhaite consulter. Loin de m’exaspérer, j’y vois une magnifique opportunité de faire le ménage, d’épurer mes habitudes digitales et surtout, de reprendre le temps de chercher des sources qui respectent mes droits et ma liberté.

J’ai quitté les réseaux propriétaires depuis pas mal de temps et je le vis très bien. Pour tout vous dire, je n’ai jamais été autant créatif. Pour offrir à mon art – outre mon site, un minimum de visibilité, j’ai un compte Mastodon, tout simplement, avec des vrais gens dedans. L’impact sur la vente de mes livres est inexistant, bien au contraire. Quand j’en ai assez d’être devant mon écran, j’ai aussi une bibliothèque bien fournie où se croisent – attention, name-dropping d’anthologie : l’Internationale Situationniste, Jean Baudrillard, Noam Chomsky et David Graeberg, mais aussi Antonin Artaud, Simone Weil, Christian Bobin, Albert Camus, Jean Genet, Patti Smith, ou encore Pablo Picasso, Jean-Michel Basquiat, Le Caravage, Pierre Alenchinsky… Sans parler des bandes dessinées de Richard Corben, Bernie Wrightson, Robert Crumb, Milo Manara, Hugo Pratt, Enki Bilal… Bref, j’ai à ma disposition une multitude de livres et d’auteurs dont la lecture a l’avantage de ne pas être polluée par des boîtes de cookies et des pubs pour un spectacle chinois.

Comparaison n’est pas raison, mais ceci n’est qu’une simple – et longue note quotidienne, succédant un weekend nostalgique passé à ranger ma bibliothèque, redécouvrant des pépites poussiéreuses et m’exaspérant devant mon écran pollué de pop-up antiques.


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